Regarde les Chinois : May Chiu

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Cette semaine, à Regarde les Chinois, nous avons rencontré May Chiu, organisatrice communautaire et avocate de formation. J’ai d’abord entendu parler de May (comme beaucoup de monde, si on se fie à Google) lors des élections fédérales 2006, lorsqu’elle s’était présentée pour le Bloc Québécois contre Paul Martin dans Lasalle-Ville-Émard. Depuis ce temps-là, je l’ai … Continue reading “Regarde les Chinois : May Chiu”

May Chiu

Cette semaine, à Regarde les Chinois, nous avons rencontré May Chiu, organisatrice communautaire et avocate de formation. J’ai d’abord entendu parler de May (comme beaucoup de monde, si on se fie à Google) lors des élections fédérales 2006, lorsqu’elle s’était présentée pour le Bloc Québécois contre Paul Martin dans Lasalle-Ville-Émard. Depuis ce temps-là, je l’ai aperçu lors de l’audience publique pour la réparation relative à la taxe d’entrée imposée aux Chinois, et je l’ai finalement connu en personne l’été dernier à travers le cercle du Service à la Famille Chinoise, où elle fût directrice générale jusqu’en 2006. Autour d’une table au Club Social sur St-Viateur, un bruyant café italien (avec la télé qui diffusait un match de hockey au-dessus de nos têtes), nous avons jasé de justice sociale, de Trois-Rivières (où elle a grandi après avoir immigré de Hong Kong), de Côte-des-Neiges, de La Commission, de militantisme, de ses voyages en Chine, de confiance en soi et de standards de beauté, de politique partisane, et de son rôle de mère.

This week, at Regarde les Chinois, we sat down with May Chiu, community organizer and lawyer by training. I first heard of May (like a lot of people, according to Google) during the 2006 Federal Elections, when she ran for the Bloc Québécois against Paul Martin in Lasalle-Ville-Émard. Since then, I saw her at the public audience for the Chinese head tax redress, and finally met her in person last summer, through the Chinese Family Service, where she was general director until 2006. Around a table at the Club Social on St-Viateur, a loud Italian cafe (a hockey game playing on the television above our heads), we chatted about social justice, Trois-Rivières (where she grew up after immigrating from Hong Kong), Côte-des-Neiges, The Commission, activism, travels to China, self-confidence and standards of beauty, partisan politics and her role as mother.

Language of the interview / langue de l’interview: French / français

***

(On commence l’entrevue, et je prépare alors la caméra vidéo…)

Je crois que le moment le plus gênant que j’ai eu, j’étais en entrevue en direct avec Raymond St-Pierre à Radio-Canada. Pis il y avait l’appareil devant moi, mais ils m’avaient dit qu’ils diffuseraient une autre entrevue, pis ensuite on revient avec moi. Alors, je regardais la télé qui montrait ce qu’ils diffusaient, et à la fin, quand ils sont revenus sur moi quand j’étais encore en train de regarder la petite télé! (rires)

CLC : (rires) Oh non! … T’es allée souvent à la télé ?

De temps en temps. À l’époque où j’étais directrice du Service à la Famille Chinoise du Grand Montréal (SFCGM), quand il y avait une slow news day (rires), les journalistes avaient tendance à être « Oh! On peut faire une reportage au Quartier Chinois! »

CLC : C’est souvent des médias anglophones… Je sais pas, mais dans la presse francophone, on ne parle pas beaucoup des Chinois ?

Non, et même pas juste Chinois. J’étais avocate bénévole pour un organisme de lutte contre le racisme, et chaque fois qu’ils tenaient une conférence de presse, c’était surtout des médias anglophones qui s’y intéressent.

CLC : C’est dommage… En faisant ce projet-là, c’est une des choses que je voulais apporter, parler de la communauté chinoise en français. Prouver qu’on peut être très chinois, et le faire en français.

Je crois que le stéréotype est vraiment là. Je me rappelle que des fois quand je recevais des appels de journalistes qui étaient surpris que je parle français. Il y en avaient même qui étaient « Hein, tu parles français! Comment ça se fait!? ». Souvent, leur image des Chinois, c’est au Quartier Chinois, qui est très très petit, enfermé. Premièrement, il n’y a pas beaucoup de gens qui habitent là : environ 500-600 qui habitent au Quartier Chinois. Mais, la plupart sont des aînés qui, à cause des barrières linguistiques, sont dépendants des services et des commerces chinois. Alors, c’est évident que si quelqu’un veut avoir des contacts avec la communauté chinoise, et qu’ils vont au Quartier Chinois, ils risquent de rencontrer surtout un type de gens.

Mais c’est pour ça que je suis intéressée à tes projets, parce que tu essaies d’exposer la diversité de la communauté. C’est une progression pour la communauté.

CLC : Parle-moi de toi, donc. Tu n’es pas née au Québec, mais à Hong Kong ?

Je suis née à Hong Kong, mais je suis assez assimilée parce que je suis arrivée très jeune…

CLC : Assimilée ?

Oui, je dois avouer que oui, parce que quand je pense, ce n’est pas dans la langue chinoise. C’est plutôt en anglais, parce que j’ai grandi à Trois-Rivières, et j’étais arrivée à l’âge de 6 ans. Je suis arrivée avant la loi 101, donc. J’étais dans le système anglophone toute ma vie.

Et comme dans beaucoup de familles chinoises, et je crois encore maintenant, j’ai subi pas juste l’écart des générations, mais dans le cas des immigrants, il y a aussi l’écart culturel. C’est pas juste au niveau de l’âge, des valeurs, de goûts, tout ça, mais c’est aussi au niveau culture, vu que les parents, au point de vue de leur mentalité, leur point de référence était toujours dans le pays d’origine.

CLC : Au moment d’immigrer…

C’est ça. Parce que nous (les enfants) sommes très intégré dans la société d’accueil, c’est notre point de référence pour établir nos valeurs, nos coutumes, nos habitudes.

CLC : Tu avais des amis souvent québécois ? À Trois-Rivières, c’était très multiculturel ?

Non, pas du tout… Parce qu’on était à l’école anglaise, je crois que tous les immigrants, les non blancs francophones étaient là. Donc il y avait, comme, dans ma classe, un Égyptien, un mixte, une Noire, nous autres (rires).

CLC : Ça c’était en quelle année ?

C’était en 1971.

CLC : Dans les années 70… L’élection du PQ, tout ça, t’as vécu ça ? T’étais sûrement trop jeune ?

Je n’étais pas au courant de la politique – j’avais 6-7 ans! Mais je me rappelle quand la Loi 101 a été passée, les enseignants chez nous faisaient des manifestations! J’ai même vu des vieilles photos du temps. Je n’étais pas très consciente de ce qui se passait.

CLC : Donc, tu es arrivée à Montréal pour l’université ?

Cégep à Lennoxville pour deux ans, puis ensuite je suis venue à Montréal pour l’université. Et je suis ici depuis ce temps-là.

CLC : T’as donc fait des études en droit ?

Bien, originalement, mon bacc étaient dans deux domaines qui n’avaient aucune chance d’employabilité! (rires) Mais comme je te disais, j’étais assimilée, alors le stéréotype des étudiants chinois qui étaient excellents dans les sciences, ou quelque chose de très pragmatique au niveau de l’emploi (ce n’était pas pour moi)… J’ai étudié l’histoire de l’art et la philosophie – donc aucune demande sur le marché de l’emploi, ni pour une philosophe, ou une historienne de l’art! Mais par la suite, j’ai fait un bacc en droit.

CLC : Tu utilises beaucoup le terme « assimiler »… Souvent, c’est associé à quelque chose de négatif. Est-ce que tu crois que c’est ça le « sort » des immigrants qui viennent au Québec ou au Canada, d’être « assimilé » ?

Je crois que ce n’est pas facile d’avoir un modèle de réussite. C’est vrai que moi, je résiste beaucoup à l’assimilation, mais je ne peux pas nier que le fait que j’ai grandi dans un milieu québécois francophone. Bien sûr, comme j’ai dit, juste le fait que j’aie étudié l’histoire de l’art, c’était quelque chose qui était beaucoup plus pertinent pour un pays où les gens n’avaient pas peur d’instabilité, de guerres, de crises économiques. Donc, je suis assimilée dans ce sens. Je pensais (plutôt) que moi, oh, ça m’intéresse d’apprendre plus sur la vie, pis les questions existentielles, pourquoi sommes-nous ici! Qui sommes-nous!

CLC : Donc, tu n’as pas vécu les mêmes défis que les nouveaux immigrants.

Oui, oui, oui. Donc, pour moi, les mauvais côtés sont, bien sûr pour moi, la perte d’identité. J’ai vu beaucoup beaucoup l’acceptation… même pas l’acceptation. C’est beaucoup un racisme internalisé… parce que quand nous sommes une minorité ici, c’est évident qu’on ne peux pas changer notre visage. Alors, la majorité vont toujours nous identifier comme faisant partie de la minorité.

Des fois, ça crée un manque de confiance, un déni de qui nous sommes. Je crois que les gens qui peuvent résister à ces implications négatives de l’assimilation sont les gens qui peuvent avoir confiance en soi, et avoir confiance en leur différence. Oui je suis différent, mais je suis égal aussi.

CLC : Je ne connais pas exactement la définition des termes, mais au Canada on parle de multiculturalisme, tandis qu’au Québec, on parle d’interculturalisme. C’est-à-dire qu’il y a une langue et culture dominantes, et c’est aux minorités de les accepter, d’en faire partie.

Ben, la critique québécoise du modèle de multiculturalisme, qui est un concept du gouvernement fédéral, soutient qu’on crée beaucoup de ghettos. C’est vrai que le Canada est bâti par les immigrants d’origines diverses, mais si on envoie le message que vous pouvez garder vos différences même après votre arrivée, on a peur que les gens ne seront jamais intégrés. Dans le sens qu’on va perdre le tissu qui nous identifie, que nous avons en commun comme citoyens du Canada.

J’ai des amis indiens, et même s’ils ont grandi ici, à l’âge de 18 ans, leurs parents vont les envoyer en Inde pour des mariages arrangés. On peut avoir se demander, « c’est quoi le problème avec ça? », mais ici au Canada, c’est une valeur canadienne que les individus ont la liberté de choix. Alors si on conserve des pratiques comme celles-ci, ce ne sera pas bien accepté.

Par exemple, durant la Commission Bouchard-Taylor, les féministes dominantes étaient très fortes, ont participé beaucoup, car (selon elles), les immigrants avec des valeurs qui ne favorisent pas l’égalité des sexes, on ne peut pas les laisser continuer leurs pratiques d’oppression des femmes lorsqu’ils sont au Canada.

Le modèle québécois d’interculturalisme est que, oui, nous sommes tous différents, mais l’effort du gouvernement devrait mettre l’accent sur ce que nous avons en commun. Donc, (sous ce modèle) la loi s’applique à tout le monde peu importe leur origine; la loi criminelle, la loi d’obligation civile, la cour civile, la charte des droits de la personne, s’appliquent à tout le monde. Les valeurs fondamentales s’appliquent à tout le monde, comme l’égalité des sexes, la démocratie… On doit accepter ici qu’on ne peut pas brûler quelqu’un parce qu’on n’est pas d’accord!

CLC : C’est des exemples extrêmes dépeints dans les médias, n’est-ce pas !

Oui, j’essaie de présenter les généralisations des deux côtés… Dans les deux modèles, je trouve que ce qu’il manque c’est l’attention portée à l’égalité. J’ai assisté à une conférence par le comité phillipin sur le multiculturalisme. Ça a l’air que (le multiculturalisme) est très inclusif, c’est participatif, ça respecte les différences des communautés culturelles, mais si on regarde les statistiques scientifiques sur le taux de pauvreté, le chômage, la santé, le droit d’établissement, c’est une constante, peu importe si on préfère le multiculturalisme ou l’interculturalisme.

CLC : En fait, c’est juste de la rhétorique.

Oui. Moi, je travaille dans Côte-des-Neiges, et peu importe la rhétorique, les gens sont beaucoup plus pauvres! Les gens habitent dans des logements avec de la moisissure, avec des souris. Les gens sont traités de très mauvaise façon, parce qu’ils ne trouvent pas d’emploi. Peu importe la politiqiue canadienne ou québécoise, pour l’instant, il n’y a personne qui peut adresser ces problèmes qui, pour moi, sont beaucoup plus fondamentaux pour les communautés culturelles que … est-ce qu’on a le droit de s’habiller de telle façon.

CLC : Dis-moi, qu’est-ce que tu fais à Côte-des-Neiges tous les jours ?

Maintenant, je travaille pour un organisme communautaire à Côte-des-Neiges (le Projet Génèse) et je fais quelque chose que je n’ai jamais fait dans ma vie. Mon poste s’appelle « organisatrice communautaire ». Alors, je travaille sur la mobilisation. Les gens que j’essaie de mobiliser sont de diverses origines. Mon dossier en particulier est le droit à l’aide sociale et contrer la pauvreté. Je travaille sur les deux volets, donc, je travaille à essayer de changer la loi pour augmenter l’aide sociale, mais aussi pour contrer la pauvreté en général. Ce n’est pas juste parce que nous avons une job que nous sommes riches! Il y a beaucoup beaucoup de gens qui travaillent pour un salaire minimum et qui restent dans la pauvreté.

La société n’est peut-être pas consciente de ça… Même maintenant, toutes les années, ma mère me demande de faire une contribution pour envoyer à la famille en Chine. Et ça c’est une réalité pour beaucoup d’immigrants – c’est le gagne-pain pour le pays d’origine.

Mon organisme travaille aussi sur le logement social. Il y a 24 000 familles sur l’Île de Montréal qui sont sur la liste d’attente pour un logement social.

CLC : Trouves-tu que dans le débat des accommodements raisonnables, la communauté n’est pas très présente ou interpellée par celui-ci ?

Des fois, nous bénéficions d’un stéréotype « favorable ». Lorsque j’étais au SFCGM, nous avions un service d’employabilité où on essaie de trouver des emplois pour les Chinois. Il y avait beaucoup d’employeurs qui nous ont dit que « ah, j’aime beaucoup employer les Chinois, parce qu’ils travaillent dûr et qu’ils ne causent pas de problèmes! ». Autrement dit, (les Chinois) sont faciles à exploiter!

Puis, je crois que pour les gens qui ne connaissent pas autant leurs droits ici, qui ont peur de faire des revendications, pour moi, c’est une espèce d’oppression internalisée. Les gens vont croire que, ah oui, au lieu de revendiquer mes droits, je dois être très reconnaissant d’avoir un petit travail, tandis que je vois mes voisins qui n’ont rien du tout. Alors je ne vais pas causer de problèmes.

La Commission Bouchard-Taylor, un de ses volets est de statuer sur l’égalité pour les immigrants. Si nous ne savons même pas que nous avons le droit à l’égalité, on va penser que ce n’est pas pour nous.

L’autre problème, comme je le dis publiquement, est que la Commission Bouchard-Taylor, dès le début, dans le document de consultation, visait la population majoritaire. Bien sûr, quand ils sont venus à Montréal, beaucoup d’immigrants ont fait des présentations, mais ils ont avoué qu’ils voulaient savoir ce que les Canadiens Français pensent de la diversité. Alors ils n’ont pas fait de vraies tentatives de rejoindre les communautés culturelles.

CLC : Comment as-tu commencé à t’impliquer (socialement) ?

Au niveau de ma vie comme militante, j’ai commencé quand j’étais étudiante en art. À l’époque, et ça c’était ma génération, mi-années 80, c’était la période du militantisme contre l’apartheid. C’est par mon intégration dans les associations que je suis devenue consciente des questions de racisme. Avec ça, quand on parle de racisme en Afrique du Sud, il y a le féminisme, la lutte des races qui sont entrés. C’est comme ça que j’ai été politisée.

CLC : Ensuite, tu as choisi de faire ton droit ?

À travers mon expérience dans la lutte anti-apartheid, j’ai appris à avoir une conscience sociale, et ça m’intéressait beaucoup de travailler sur le changement social, de militer pour la justice sociale. À l’époque, je pensais que comme avocate, je pouvais faire une différence.

CLC : C’était quoi tes premiers projets, et comme est-ce que ça a déboulé pour toi ?

…parce qu’il y a l’idéal, puis la réalité. (rires) Alors, en fait, même quand j’étais dans le mouvement contre l’apartheid, j’étais encore très déracinée de ma propre identité. Je me posais cette question : pourquoi est-ce que je milite pour des gens sur un autre continent, tandis que ma propre communauté ici a tellement de besoins. J’ai eu cette réflexion en écoutant des leaders des premières nations ici, qui disaient, pourquoi est-ce que le Canada dépensait tellement d’argent sur (le mouvement) Solidarité, l’apartheid, quand ici dans les réserves, parmi les communautés des Premières Nations, il y a un génocide qui est en train de se dérouler.

Moi aussi, j’ai pensé que si je voulais être fidèle à mes principes, je dois commencer à un niveau local, voir comment je peux aider les gens ici, et toujours avoir une perspective au niveau national ou international.

C’est comme ça que j’ai commencé mon premier job, au SFCGM d’ailleurs. J’ai travaillé au service direct, et les gens arrivaient avec leurs problèmes…

CLC : C’était l’aide juridique ça ?

Non, pas juridique, ça c’était avant mes études en droit. C’est au cours de cette année que j’ai eu l’idée de faire mes demandes en droit. Je me suis dit que, oui, j’aurais pu aider une personne à la fois, mais je ne peux pas aider la majorité des gens.

Je me souviens de ma première journée au SFCGM. J’étais très jeune, et je venais de terminer mon bacc en art. Même mon chinois était très mauvais. J’ai observé une intervention, une aînée qui est venu, qui voulait faire la demande pour l’aide sociale, parce qu’elle ne s’entendait pas bien avec ses enfants. Parce qu’elle était paraînée, l’intervenante sociale lui a dit qu’elle n’était pas éligible, parce que la période de parrainage n’était pas complétée, elle devait rester avec ses enfants. Elle a donc quitté en pleurant, et puis je me rappelle, je suis aller dans la salle de bain et j’ai pleuré aussi!

Je me suis tellement senti mal que je ne pouvais pas rien faire pour l’aider. Alors j’ai pensé, à la fin de cette année, que comme avocate, je pouvais agir à un niveau différent.

CLC : T’es allée en Chine après ?

Oui, oui, oui! Ça c’était après l’école de droit, en 1994-95. J’avais terminé mes études à l’université, et j’ai fait l’année au barreau. Je me suis dit, si jamais je voulais en apprendre sur mes racines, c’est mieux de faire ça avant de commencer un stage. J’avais vu que dès que les étudiants ont commencé leur stage, le prochain objectif c’est de conserver leur emploi, et ensuite, c’est monter l’échelle dans le cabinet. Si je voulais une année pour moi-même, ça doit le faire avant tout ça.

CLC : T’es allée où, et qu’est-ce que tu as fait là-bas ?

J’ai enseigné l’anglais et j’ai donné un cours de droit à l’Université du Shanxi. C’est une province avec beaucoup de mines de charbon, très très polluée. Mais c’était la meilleure expérience de ma vie.

Une autre raison que j’ai choisi de prendre cette année, car aussi, c’est connexe à ma quête pour mon identité culturelle. Je me rappelle qu’au CÉGEP, j’avais un prof qui me posait des questions sur la Chine. Comment est-ce que je devais savoir ça? J’avais appris les mêmes choses que les Québécois, Québécoises. Pis il m’a regardé, et m’a dit, « Pauvre toi, tu manques tellement de la richesse de ta culture ». Je me rappelle que j’étais fâchée parce que je ne suis pas juste une Chinoise, car (j’ai grandi ici), et que tu ne peux pas t’attendre à ce que j’en connaisse plus que mes copains, copines.

En même temps, ça me dérangeait qu’il y avait un côté de mon héritage dont j’étais complètement ignorant.

CLC : Est-ce que tu aurais un message pour les jeunes qui sont déconnectés de leur culture d’origine ? Comment te sens-tu maintenant, es-tu plus à l’aise par rapport à ton héritage ?

Oui, je le suis beaucoup plus. Je pense que la différence, c’est la confiance. C’est primordial.

CLC : Toi, tu l’as trouvée comment ?

… Je crois que le premier pas c’est d’être conscient d’une pensée qui est … je manque le mot … colonisée. Je vais te donner deux exemples, parce que c’est important dans mon parcours personnel.

Puisque j’ai grandi ici, j’ai écouté des films d’Hollywood, lu des revues d’Hollywood. L’image de la beauté était toujours: des Blancs. Et moi, quand j’étais jeune, j’avais honte d’être différente. Même à Montréal, même si tu es dans une place très mixte, très multiculturelle, quand les points de repère, le standard de la beauté sont toujours des images blanches, on peut avoir cet effet: « Je ne suis pas comme elle, je ne suis pas comme Britney Spears » (rires). Alors, on est très conscient, surtout quand nous sommes jeunes, puis on est fragile au niveau de notre identité et on peut pas être différents des autres.

J’avais honte de ma propre image, et juste pour te donner un exemple, quand je marchais, quand j’étais jeune, je regardais juste mes pieds parce que je ne voulais pas que les gens regardent mon visage. Ce n’était pas conscient.

Un jour, j’étais avec mes cousines, qui aussi ont grandi à Trois-Rivières, pis elles m’ont dit: « Les gars Chinois sont tellement laids – je ne vais jamais sortir avec eux! ». Et j’avais remarqué que j’avais le même sentiment, parce que bien sûr, quand je pense à c’est quoi mon homme idéal, homme de mes rêves, c’est George Clooney, et…

CLC : Robert Redford!

Oui, oui. Parce que c’est l’image masculine qu’on a en tête! Quand je suis devenu consciente que je trouvais les hommes chinois laids, la deuxième pensée que j’ai eue, c’est quoi cette réflection sur moi-même, c’est quoi l’image de moi-même?

Et, donc, c’est là où j’ai commencé le processus de questionnement, de pourquoi j’ai eu cette idée, pensée. Et questionner et la défier, parce que ce n’est pas correct! Les hommes chinois, asiatiques sont très beaux!

CLC : Merci! (rires)

Je ne devrais pas avoir cette impression-là. Donc, c’est un parcours.

CLC : À quelle âge t’en es-tu rendu compte ?

Ça c’était après le CÉGEP, donc 20-21 ans.

CLC : Donc, quand tu es allée en Chine, tu t’es rendu qu’est-ce que ça pouvait être quand c’était tous des Chinois.

L’autre problème, c’était qu’avant j’étais pas souvent avec des Chinois. Quand j’ai travaillé au Quartier Chinois, pour un long bout de temps, je n’avais pas d’amis Chinois, parce que j’étais pas avec des gens qui n’étaient pas intégrés, qui n’étaient pas intégrés comme moi, ou comme toi, qui étaient des aînés, ou des enfants. Je n’avais pas beaucoup en commun avec eux. Tous mes amis étaient non-Chinois.

Mais en Chine, j’ai découvert la diversité de la population! Les bons, les mauvais, surtout les bons. Une attitude complètement différente, une chaleur énorme, une acceptation; vraiment, c’était spécial.

CLC : Différente de l’image en fait qu’on se fait ici…

Ah! Bien sûr! On ne peut pas dire que « tous les Chinois sont comme ça » Non! (rires) T’es dans un pays de 1 milliard! Ils ne sont pas tous pareils!

Je trouve que ma position comme Asiatique qui vient de l’étranger, m’a ouvert beaucoup de portes que d’autres n’avaient pas accès.

CLC : À cause de ?

Parce que j’étais hébergée dans l’immeuble des « experts étrangers » Les professeurs russes, japonais, canadiens, américains, on était tous ensemble. J’ai remarqué que mon expérience était un peu différente des autres, parce que les avocats locaux m’ont dit beaucoup de choses qu’ils ne disaient pas aux autres Chinois, vu que j’étais occidentale. Il faut comprendre que les gens ont subi la Révolution Culturelle, alors ils avaient le réflexe de garder l’information, l’expression.

CLC : Les gens sont défensifs…

Oui. Mais avec des étrangers, ils savaient que cet étranger va quitter et qu’il ne va pas les blesser. Alors ils viennent à moi dans ce sens-là. En même temps, parce que j’étais Chinoise, ils m’ont dit des choses qu’ils ne pouvaient pas dire à des étrangers, parce que l’étranger ne va pas comprendre! Donc, j’étais dans un monde idéal pour vraiment avoir une expérience très enrichissante.

*** On fait une petite pause pour retourner au YMCA Parc…

CLC : Comment c’est ton rôle de mère ?

Oh, j’adore être maman.

CLC : Est-ce que ça a changé beaucoup de choses dans ta vie ?

Je suis très occupée avec mes deux enfants, mais je peux utiliser mes enfants comme excuse pourquoi je ne peux pas accepter mille engagements! (rires) Mais ça fait du bien d’avoir des enfants, parce que mon travail des fois, c’est tellement lourd. On rencontre tous les gens qui sont dans des situations pénibles pour lesquelles on ne peut rien faire. Pour la santé mentale, c’est tellement bien quand on arrive à la maison. Je ne peux plus penser à cette personne qui ne peut pas avoir de recours, mais je dois faire attention à mes enfants, des gens qui ont besoin de moi d’une autre façon. Ils m’encouragent aussi, me donnent la force de continuer le travail que je fais.

CLC : En 2006, c’est là que j’ai entendu parler de toi pour la première fois. Tu t’étais alors présentée pour le Bloc Québécois dans la circonscription de Lasalle-Ville-Émard. Comment ça s’est passé ?

En fait, ma relation avec le Bloc a commencé pendant la lutte de la communauté chinoise pour la répation pour la taxe d’entrée. Au niveau des partis fédéraux… Ben, le Parti Libéral, c’était eux qui étaient au pouvoir (à ce moment-là), et ils refusaient de nous donner réparation. Le NPD et le Parti Conservateur n’étaient même pas sur la scène à Montréal. Le seul parti d’opposition qui a pris la peine, qui avait le pouvoir de militer et revendiquer pour nous était le Bloc, et j’étais très impressionée par l’intérêt et l’appui que le Bloc nous a toujours apporté.

Même des années avant qu’il y ait des élections, chaque fois qu’on a eu des activités sur la réparation, le Bloc était présent. C’est comme ça que j’ai commencé ma relation avec eux. Puis, en 2005, ils m’ont approché pour être candidate.

Au niveau des activités partisanes, j’ai appris beaucoup. Comment c’est difficile, l’enjeu (d’être une) minorité, cette identité que nous avons, comment ça joue contre nous, comment ça nous exclut d’une position de pouvoir. J’ai beaucoup appris.

CLC : La communauté chinoise vote traditionnellement libéral. Comment est-ce que t’as vécu ça d’être allée à contre-courant ?

Je pense que c’est parce que j’étais plus intégrée que la communauté traditionnelle. J’ai grandi ici, je suis immergée dans le fait que nous sommes dans un pays démocratique, avec plusieurs partis politiques, et aussi comment utiliser nos pouvoirs comme voteurs aux élections.

Je pense que la raison pour laquelle traditionnellement notre communauté était partisane du Parti Libéral, c’était parce que c’était le parti au pouvoir. C’est vrai que le Parti Libéral a aussi investi beaucoup d’effort pour courtiser les communautés culturelles, mais je trouve que l’ancienne génération née en Chine était… Dans leur compréhension de la renvendication, c’est beaucoup mieux d’utiliser les moyens diplomates, et qui se traduit pour le parti courant de faire des dons politiques! (rires) Et être gentil avec le parti au pouvoir, et je crois que beaucoup de cet appui-là vient de cette façon de penser.

Tandis que moi, comme j’ai grandi ici, je me suis dit: « Ce parti, il est au pouvoir à cause de nous? Alors, si eux ils ne font pas ce nous demandons, bon on va aller ailleurs » Et je pense que ça explique ma stratégie.

CLC : Est-ce que tu vas te représenter pour le Bloc s’il y a des élections qui s’en viennent ?

Pour l’instant, je prends du recul! (rires) En fait, j’étais très déçue par ce qui est arrivé pendant la Commission Bouchard-Taylor. J’espère que la population a compris que c’était tous des partis – PLQ, ADQ, PQ – qui ont abandonné la défense des droits des minorités pendant cette commission-là. Puis, au niveau des partis souverainistes, le Parti Québécois, comme on a vu avec leur projet de loi sur l’identité culturelle (NDLR: officiellement « Loi sur l’identité québécoise”), ils ont montré que la vieille attitude envers les non-francophones était encore toujours très très présente.

Et à cause de mon expérience partisane, j’ai appris que le Parti Québécois a beaucoup de contrôle sur le Bloc. Étant donné que je suis toujours souverainiste, je vais toujours défendre le droit du Québec à l’auto-détermination, mais pour l’instant, étant donné qu’il n’y a aucun leadership dans les partis politiques dominants qui défendent nos intérêts, je prends un recul… Peut-être que je vais militer pour Québec Solidaire. J’appuie déjà Amir Khadir.

CLC : Suis-tu aussi la politique ailleurs, en dehors du Canada ?

Oui, à l’échelle internationale. Même si je suis beaucoup plus vieille que toi (rires), je ne suis si éloignée de la lutte contre la mondialisation; et à cause du fait que mon travail touche beaucoup à la défense des droits socio-économiques, tout ce qui arrive à l’échelle internationale, les ententes de libre-échange, le commerce, le GATT, c’est pour ça que je suis beaucoup la politique internationale.

CLC : Crois-tu que la montée de la Chine a un effet sur la confiance des Canadiens Chinois. Ou qu’à cause des critiques qu’on fait par rapport aux droits de l’homme, on veuille pas s’identifier à ça ?

Non, je pense que mon voyage en Chine aussi a brisé beaucoup de stéréotypes que j’avais. Au niveau des droits de l’homme, à cause de ma position politique, je n’étais pas toujours très critique. Au niveau de ce qui se passe à l’international, il y a toujours la lutte entre la gauche et la droite. Les pays socialistes étaient toujours critiqués par l’Occident, et on voit ça avec Cuba, la Chine. Les pays occidentaux ont peur de la concurrence, mais aussi, ils ont très peur que leur propre population revendique un autre modèle de comment organiser la société. Alors pour moi la Chine, c’est vrai que…

Mais même là, on voit le préjugé… Parce que le Canada critique beaucoup la Chine pour les violations de droits civils et politiques: le Falun Gong, ils emprisonnent des gens, et surtout, il n’y a pas de liberté d’expression. Tandis que la violation des droits socio-économiques, on va laisser passer, parce que nos compagnies canadiennes peuvent en profiter aussi!

Puis, je me rappelle, il y a des années, quand j’étais très intéressée à étudier la politique entre le Canada et la Chine, l’ACDI a commencé un volet sur comment promouvoir les droits de la personne en Chine. Lorsque j’ai regardé les programmes qu’ils avaient, sur comment former les juges, améliorer le système légal en Chine… ils parlent de droits des femmes, des plus pauvres, mais j’ai vu qu’en arrière tout ça, au niveau du changement légal, c’était comment faire que les Chinois respectent les contrats qu’ils ont signé!

CLC : Ça finit tout avec l’argent, c’est le dénominateur commun dans les relations internationales ?

Uh-huh. Par rapport à ta question, ça n’a pas d’impact sur moi, au niveau de mon identité, toute la critique de la Chine sur les droits de la personne. Parce que les droits de la personne, on peut utiliser ça selon notre gré aussi.

CLC : Es-tu retournée en Chine depuis 1994-5 ?

Oui, car après mon séjour en Chine, j’ai travaillé pour un cabinet en droit de l’immigration, et ensuite, j’ai eu mon propre cabinet, et j’ai travaillé pour 4-5 ans. Je visitais la Chine 3-4 fois par année. Je sais que la Chine change du jour au lendemain, et à l’époque, j’ai continué à apprendre beaucoup. Mes clients m’ont appris beaucoup, parce que j’ai rencontré des gens d’affaires, des multi-milionnaires, des étudiants qui empruntaient de l’argent de toute la famille pour immigrer au Canada. J’en ai appris sur l’exode des cerveaux. C’était très enrichissant, mais c’était aussi triste, je trouvais, que les gens étaient dans la situation que le seul moyen pour un avenir était de quitter la Chine.

Je me rappelle d’un client en génie informatique… Je pense que toi-même tu as pu remarqué que beaucoup des nouveaux arrivants de la Chine continentale sont très patriotiques. Je me rappelle que cette personne me disait qu’elle ne voulait pas quitter la Chine. Lui, il travaillait pour l’état, mais au niveau de ce qui était disponible publiquement, il y avait beaucoup de contraintes pour les gens à avancer au niveau intellectuel ou professionel.

CLC : Je finis toujours mes entrevues avec la question « Qui es-tu? », alors, qui es-tu ?

Oh la la… (rires) Quand tu as organisé la première table ronde sur le multiculturalisme, je disais qu’une question « Qui suis-je » est une question que je vais me poser toute la vie. Vraiment, je ne peux pas répondre, parce que c’est comme tous les êtres humains, je suis toujours en évolution. À cette étape, je pense que mon identité comme parent est primordial, et sur le plan professionel, je suis organisatrice communautaire qui défend les droits socio-économiques.

CLC : Eh bien, merci beaucoup May!

Ça m’a fait plaisir!

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